L'interview de la semaine : Maxime Mary
Absolum, claque graphique et vidéoludique
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Bonjour à toutes et à tous ! Encore une interview banger en ce vendredi matin grâce à Maxime Mary, qui a gentiment accepté de répondre à mes questions habituelle. Un peu de contexte : avec le temps, les enfants, le travail, ma passion dévorante pour Warhammer… Je joue BEAUCOUP moins aux jeux vidéo qu’avant. Je me concentre sur des jeux courts, souvent indé, avec une direction artistique qui me parle et surtout une narration qui m’emporte. J’ai ainsi passé des moments très forts sur des jeux comme Bastion, Hadès, Dredge… Et les jeux de la maison française Dotemu (Streets of Rage 4, TMNT…). Dès que j’ai vu le premier trailer de leur nouveau jeu Absolum, je savais que j’allais craquer. Je me suis jeté dessus day one et je n’ai pas regretté. Absolum est un beat’m’ all à l’ancienne, inspiré par Golden Axe (les vieux savent) mais en mode Roguelite. Un genre qui m’a rendu fou sur Hadès, mais ça ne m’a pas arrêté pour Absolum. Et c’est un véritable banger. Une bande son géniale, des voix-off ultra quali, une animation et un gameplay du feu de dieu, et surtout une direction artistique fantastique, qui m’a fait craquer au premier regard.
Aujourd’hui, j’a la chance d’interviewer l’homme derrière cette direction artistique : Maxime Mary. Un très grand merci à lui d’avoir pris le temps de répondre à mes questions ! Je vous laisse donc en présence de Maxime et de son univers graphique génialissime, tout en vous conseillant de tester un jeu français qui restera dans les annales : Absolum !
A très vite
Thomas
Maxime Mary : l’interview
Question classique de présentation ! Comment es-tu tombée dans l’illustration ?
Je suis de la région Nantaise, j’ai eu un parcours classique. Je dessine depuis tout petit, je me suis donc dirigé naturellement vers une options Arts Plastiques au lycée, avant d’enchaîner sur l’école Pivaut à Nantes où j’y ai appris le dessin narratif et l’animation, avant d’intégrer les Gobelins à Paris, en animation également, et y être diplômé en 2011.
Depuis j’ai majoritairement travaillé en tant que Character Designer dans le monde de l’animation, sur plusieurs formats (série, pub, long métrage...). J’ai eu l’occasion de travailler pour différents pays également, j’ai même passé 3 ans au Canada pour travailler sur un film. Sinon le reste du temps je partage un atelier avec d’autres artistes de l’animation et de l’illustration. Enfin, dernièrement j’ai eu l’occasion de travailler dans le jeu vidéo, et la chance d’être Directeur Artistique sur le jeu Absolum.
Sur comment je suis tombé dans l’illustration, je pense que j’ai toujours aimé ça, j’ai baigné dans la bande dessinée et l’animation depuis tout petit. J’ai eu la chance d’avoir des parents très supportifs, ce qui m’a permis d’entreprendre les bonnes études et en faire une carrière. Je n’ai jamais douté ou envisagé une autre voie !
Comment décrirais-tu ton univers graphique ? Comment as-tu réussi à le « trouver » et dans quelles circonstances tu t’es dit : « ça y est, je veux faire ça toute ma vie » ?
L’univers ou le style graphique d’un artiste est constamment en évolution. De l’extérieur le public peut plus facilement l’identifier, mais je trouve que subjectivement c’est difficile à décrire. Si je devais quand même faire l’effort, je dirais que je suis très influencé par mes lectures d’enfance et que cela se ressent encore aujourd’hui. J’ai grandi avec Spirou et Astérix, mais aussi Dragon Ball et les films Disney. Je trouve qu’on peut encore ressentir ces influences dans mon travail actuel. Travailler dans le monde de l’animation, surtout en design, m’a permis d’explorer beaucoup de styles différents, de m’y adapter et j’imagine que toutes ces expériences m’ont emmené sur ce que je dessine aujourd’hui.
J’ai néanmoins, depuis quelques années, décidé d’assumer un peu plus mon bagage, j’ai remis en avant l’encrage au noir que j’aimais chez Franquin ou Janry par exemple. Depuis ce “choix”, je trouve que j’ai enfin quelque chose qui m’appartient, avec lequel je me sens à l’aise et qui possède plus de personnalité; Evidemment c’est un savant mélange d’influences et d’expérience, mais il a fallu à un moment décider de s’extirper de la polyvalence que je pouvais avoir à m’adapter à différents styles dans l’animation, et accepter d’assumer plus clairement mes envies.






Comment t’es-tu retrouver à travailler sur Absolum ?
Un peu dans la lignée de la précédente question, j’ai eu une pause dans ma carrière où j’ai décidé de me concentrer sur ce qui me faisait plaisir et j’ai commencé à explorer. En faisant plusieurs dessins avec un encrage et des couleurs qui faisaient plus bande dessinée, et en m’amusant à dessiner des personnages ou des scènes d’Heroic Fantasy, j’ai commencé à me sentir à l’aise et j’ai senti qu’il se passait un truc. C’est à ce moment que le studio Supamonks, à travers un de ses fondateurs, Julien Bagnol, m’a contacté pour me proposer de travailler sur l’habillage visuel d’un jeu vidéo. Il s’agissait de faire toute la production graphique pour l’éditeur de jeux indépendants Dotemu, qui recherchait un studio pour faire un nouveau jeu avec l’équipe qui avait fait Streets of Rage 4, qui avait déjà un look très “animation”.
J’ai pu rencontrer les game designers, le courant est bien passé et tout s’est emballé. J’ai pu être Directeur artistique, monter mon équipe (constituée en partie d’amis) et nous étions partis pour quasiment 4 ans de travail.
Quelles ont été tes inspirations sur le sujet ?
J’ai voulu assumer un côté bande dessinée, fidèle à mes influences et mes envies du moment. J’ai donc essayé de ne regarder que ça dans un premier temps, réduire le nombre d’influences pour ne pas trop m’éparpiller. Majoritairement, des auteurs comme Christophe Blain, les Kerascoët, Mike Mignola et Andrew Maclean m’ont suivi tout au long du projet.
Ensuite, vu qu’il s’agissait d’un jeu de combat, je me suis tourné vers les productions Capcom des années 90, comme Darkstalkers, DnD Shadow Over Mystara, ou Marvel vs Capcom.
Les animations des personnages y sont très expressives, et ça collait avec notre expérience dans le milieu du dessin animé. Enfin, évidemment, nous étions influencés par le dynamisme des animés japonais comme Gurren Lagann.
Peux-tu nous raconter un peu le process de travail pour un concept artist sur ce type de jeu ?
Le processus consiste à répondre à des besoins de l’équipe Game Design. Dans le cas des personnages, on va réflechir à des archétypes de héros et voir comment visuellement on peut faire apparaître et comprendre leurs principaux aspects; par exemple sur Absolum, Karl le nain est un bagarreur puissant au corps à corps, avec peu d’allonge mais qui peut tirer avec un fusil. Mon travail consistait à montrer ça, tout en lui donnant de la personnalité. En l’occurrence je l’ai rendu bourru, je lui ai fait des mains énormes pour qu’on sente sa puissance et qu’on puisse bien lire sa silhouette lorsqu’il se bat, et son arme est un gros tromblon doré qui ressort bien derrière son dos et qui tranche niveau couleurs. Ensuite pour le caractériser encore plus, j’ai décidé de tester une barbe bleue pour qu’il devienne immédiatement identifiable.
Après quelques allers-retours avec les Game Designers, on a pu préciser ses mouvements à partir de croquis, ce qui nous a aidé à définir autant son gameplay que sa personnalité.
Quel avis donnerais-tu aux jeunes qui ont envie de devenir illustrateur ?
Bonne question. Je pense qu’il faut s’écouter, c’est avant tout une passion et cela doit répondre à des envies, des inspirations. Pour moi c’est l’élan qui compte. Après c’est du travail, tout le temps. Il y a toujours de nouvelles choses à apprendre, jamais rien n’est acquis et c’est ce qui rend ce métier si magique.
Mon principal conseil serait que parfois il faut accepter les moments de doute. De mon expérience, c’est cyclique. parfois on peut dessiner avec plus de facilité, plus d’envie, quasiment de manière euphorique. Mais parfois c’est l’autre côté de la pièce et c’est assez compliqué à vivre. Il faut accepter que les moments de doute font partie du processus. Donc il faut s’accrocher et continuer, ça ira mieux.
Quelle est ta vision du métier et de ses difficultés ?
Nous travaillons pour des industries, c’est ce qu’il faut garder en tête: animation, jeu vidéo, pub... Tout tient debout grâce à de l’argent. Des clients, des investissements, des équipes à payer, des attentes sur le rendement, le succès etc... Donc nous sommes soumis aux mêmes exigences et contraintes que les autres métiers alors que le processus créatif nécessite du temps, de l’introspection, des efforts parfois pour surmonter un manque de compétence ou de créativité. Il peut être difficile de s’adapter aux besoins et aux rythmes des industries.
Aujourd’hui nous vivons des chamboulements, les crispations économiques et l’arrivée de nouvelles technologies mettent à mal le rapport à l’art du public, et les artistes sont les premiers touchés.
Je constate que les boulots se raréfient et ça m’inquiète pour l’avenir. Il y a un paradoxe dans le fait que le monde consomme de plus en plus de produit culturels, que cela façonne des imaginaires, mais que les moyens pour les produire semblent diminuer.
L’IA est sur toutes les lèvres et tous les réseaux. Je dois t’avouer que, de mon côté, c’est quelque chose que j’abhorre pour tout un tas de raisons. Quel est ton avis sur la question ?
J’ai très peur de ça, je suis en rejet, je n’ai jamais essayé ChatGPT ou MidJourney. Je comprends la fascination, mais je respecte le temps et l’investissement que nécessitent les oeuvres pour être pensées et produites. C’est ce qui créé l’originalité, et une technologie qui va dans le sens de la synthèse de milliers de références, pour moi c’est l’exact opposé de ce que j’attends de l’art et la culture.
J’ai besoin d’être surpris, chamboulé par des choses qui me déstabilisent, et non vivre dans le confort d’oeuvres qui sont faites pour correspondre à mes attentes ou à celles de la majorité.
Au delà des IA génératives, je suis inquiet de l’impact de l’utilisation de l’IA comme assistant pour tout. Je trouve que la vie mérite d’être vécue dans ses bons et mauvais côtés, dans l’apprentissage, dans la difficulté parfois, voire l’échec. Une technologie qui vient gommer ça et qui me facilite la vie, ça ne m’intéresse pas. Et par dessus tout je suis contre le discours qui tend à dire “je n’étais pas fait pour être artiste mais grâce à l’IA je peux le devenir, ça devient facile”. J’y vois un discours de fainéant peu investi, concentré sur le résultat et non le processus. Or ce qui est le plus intéressant dans la création, c’est le processus, les doutes, surmonter des difficultés, trouver des solutions etc...
Quelle est la pièce favorite de ton portfolio, et pourquoi ?
Il s’agit d’un dessin de Batman que j’avais fait à l’école, et qui m’a servi de boussole pendant longtemps car j’avais osé sortir de ma zone de confort. Il y a tout ce qu’on peut retrouver dans mes productions d’aujourd’hui: des proportions cartoon, des détails plus réalistes, une sorte de maladresse dans le trait, un encrage au noir prononcé et une palette très minimaliste. Il m’est arrivé de douter sur mon style et me referrer à ce dessin pour retrouver de l’inspiration et de la confiance.
Encore merci à Maxime Mary et à toute la team derrière Absolum, pour en savoir plus go sur le site de Dotemu !















Excellente interview. Les questions sont aussi pertinentes que les réponses. Du beau travail.
Très belle interview !! Absolum est l'un de mes coups de coeur de l'année et la DA du jeu y est pour beaucoup :-) Je pense que je vais me relancer une petite partie ce soir ! Merci pour cette itw et ton travail en général.