NOTE DE L’AUTEUR :
No Man’s Kingdom est une série de textes se situant chacun dans le même monde. Un épisode paraît chaque semaine, illustré par le talentueux Ronan Toulhoat et écrit par votre serviteur, Thomas Olivri. Nous vous conseillons, si vous débutez dans cet univers, de commencer par l’épisode 1 de la saison 1. Pour cela, il vous suffit de cliquer sur “No Man’s Kingdom” dans le menu du haut de la page d’accueil. Vous aurez alors accès à tous les épisodes parus. Chaque épisode se veut une histoire courte complète, un “one shot”, à lire en quelques minutes durant votre trajet de bus, de tram, en buvant un café… Ces épisodes se répondent ou se complètent, certains personnages ou lieux se retrouvent et se croisent... Le No Man’s Kingdom est un monde en constante évolution. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires ici ou sur les réseaux et surtout à partager le projet autour de vous ! Bonne lecture !
Thomas Olivri
“Rhinaaa !!! Nom des Célestes (1), cette femme va me rendre fou !”
Manquant de tomber, Herkos s’agrippa in extremis de sa main gauche à une des poutres qui constituaient l’ossature de son chariot de transport. Il essuya son visage transpirant ainsi que son épaisse moustache à l’aide de sa main droite. Durant quelques instants, sa vue fut brouillée par les gouttes de transpiration salées qui tombaient dans ses yeux. Il se les frotta machinalement de la main gauche, et perdit à nouveau l’équilibre quand le chariot fit une nouvelle brusque embardée. Il s’étala de tout son long sur le sol en bois. Son épaisse carrure fit trembler les lattes du parquet, et plusieurs objets fixés sur à l’ossature de bois du chariot tombèrent sur lui : casseroles en cuivre, spatules, cuillères. Les malédictions qu’il proféra auraient fait rougir le plus pervers des danseurs du ventre byzantii (2).
Il se releva péniblement en s’agrippant à ce qu’il pouvait en manquant plusieurs fois de tomber à nouveau, tant le chariot bringuebalait violemment. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Son chariot restaurant avait brusquement accéléré alors qu’il se reposait à l’intérieur, après l’avoir conduit pendant près de cinq heures. La nuit avait été calme. Il avait dormi comme d’habitude sur le sol de son chariot, sur un matelas coulissant, et c’était la conduite beaucoup trop rapide de la conductrice qui l’avait subitement réveillé. Rhina avait accéléré d’un seul coup, et pas qu’un peu ! Les chevaux qui tiraient l’attelage semblaient cavaler à grand galop. Herkos était inquiet. La piste était mauvaise, et Rhina allait beaucoup trop vite. Quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas du tout le genre de la jeune femme d’agir de la sorte. Encore moins dans son état. Il regarda autour de lui, agrippé aux poutres. La lumière du jour filtrait à travers les planches de bois, éclairant faiblement l’intérieur et l’univers d’Herkos. Des coffres, des ustensiles de cuisine, un gros chaudron, des sacs, et des caisses remplies à ras bord d’ingrédients, d’épices et de décoctions. Heureusement que les caisses étaient solidement arrimées, sinon elles auraient terminé par terre. Le cuisinier tenait à ses produits comme à la prunelle de ses yeux. Car si sa cuisine nourrissait l’estomac, elle réparait également les âmes et leurs turpitudes. Ses ustensiles, par contre, étaient tous étalés sur le sol. Son regard se refléta dans le miroir accroché au mur face à lui. L’espace d’un instant, il put distinguer son visage, celui d’un homme des steppes d’Estia d’une quarantaine d’année : une peau cuivrée, des yeux en amande servant d’écrins à des iris d’un orange ambré, un nez épais sous lequel prospérait une épaisse moustache, des joues qui auraient méritées d’être mieux rasées, et des cheveux en bataille d’un noir de jais. Son coup puissant surmontait un corps solide et musclé par toutes ses années passées sur les routes de la Caravane du Vent.
La vision fut fugace : dans un cahot particulièrement violent, le miroir se décrocha et tomba à terre pour exploser en mille morceaux. Herkos jura. Rhina adorait ce miroir. A l'intérieur du chariot, où il faisait une chaleur de tous les diables, plusieurs objets précieux étaient déjà tombés. Pas de casse sévère pour le moment à part le miroir mais Herkos était furieux. Rhina allait l’entendre.
Il s'apprêtait à ouvrir la trappe qui le séparait de la place du conducteur quand il entendit un son tonitruant. Une corne de brume qui occupa tout l’espace sonore pendant de longues secondes, diffusant un son sourd et angoissant. Le visage d’Herkos s’assombrit. C’était le signal sonore d’alerte du Marché Roulant. Un son qu’il n’avait encore jamais entendu auparavant en dehors des tests qui avaient parfois lieu lors des arrêts de la caravane.
Il se précipita vers la trappe et l’ouvrit violemment. La lumière soudaine l’aveugla momentanément. Il protégea ses yeux de ses mains et sortit la tête dehors, recevant la chaleur sèche et la poussière brûlante de plein fouet. “LE SIGNAL DE FUITE !” commença-t-il à hurler en direction de Rhina.
“Et pourquoi tu crois que j’accélère depuis tout à l’heure, gros malin ?! Tu n’as pas entendu la première sonnerie ??” le coupa la voix haut perchée de la conductrice de l’attelage, une femme à la peau bronzée d’une trentaine d’années aux longs cheveux noirs, ses traits d’Estiane à moitié cachés par un masque l’empêchant de respirer trop de poussière. Elle se tenait debout tant bien que mal et essayait de maîtriser les quatre chevaux partis dans un galop de tous les diables, les pieds calés sur l’armature du chariot, le corps tendu en arrière pour ne pas se faire emporter. Herkos ne put s’empêcher de l’admirer un instant : debout, sa large toge noire flottant au vent autour d’elle, ses cheveux d’ébène tirés en arrière… On aurait dit une déesse du vent.
C’est à ce moment précis que l’une des roues du chariot heurta avec violence un rocher qui avait échappé à la vigilance de Rhina, envoyant valdinguer le chariot à un mètre au-dessus du sol. L’atterrissage fut brutal. Rhina, les pieds fermement ancrés dans les attaches prévues à cet effet, réussit à garder son équilibre, et surtout les rênes. Ce ne fut pas le cas d’Herkos, qui fut propulsé en arrière et qui, pour la troisième fois de la journée, se retrouva étalé sur le sol de son chariot, au beau milieu de son précieux matériel. Ses jurons couvrirent les hennissements de protestation des chevaux, que Rhina continuait à fouetter.
Il se leva tant bien que mal en s’agrippant au large plan de travail fixé dans le sol de la caravane. Puis, il attrapa un barreau de l’échelle coulissante qui menait vers la trappe d’observation installée sur le toit du véhicule. S’agrippant fermement aux barreaux, il grimpa en grommelant et, d’un geste puissant, souleva la lourde trappe afin de pouvoir risquer une tête dehors. Le vent en pleine face, il s’agrippa de ses bras massifs à la structure extérieure du chariot et cala ses pieds sur les barreaux de l’échelle. La caravane était désormais engagée sur une pente et ralentissait légèrement, ce qui permit à Herkos d’observer plus facilement le gros de la caravane, un ou deux kilomètres derrière eux. En tant que restaurateurs roulants, Herkos et Rhina devaient souvent être à l’avant-garde du convoi afin de pouvoir faire le plein de gibier, de provisions ou d’herbes sauvages. La caravane ne s’arrêtant jamais, les chariots comme celui d’Herkos n’avaient pas le choix : prendre de l’avance ou se faire distancer.
La Caravane du Vent était un convoi gigantesque, qui s’étalait parfois sur plusieurs kilomètres sur certaines portions de trajets étroites, comme celle qu’ils empruntaient depuis deux jours : une large vallée d’herbe verte légèrement encaissée, encadrée par des hauteurs escarpées et des collines. Un passage évidemment parfait pour une embuscade, mais qui n’avait jamais vraiment été source de danger tant la caravane surprotégée avait une réputation de forteresse roulante.
Du haut de son poste d’observation, Herkos avait une vue grandiose de la Caravane du Vent. Même après toutes ces années, la vision du plus grand marché roulant des Nouveaux Royaumes lui donnait encore des frissons, . Des centaines de chariots, tirés par des chevaux ou autotractés grâce à des moteurs célestes, convergeaient vers l’Ouest après leur départ en grande pompe de la capitale nomade de l’Estia (3), Khitaï, plusieurs semaines auparavant. La Caravane du Vent était un patchwork de mille et une couleurs : des dizaines de guildes de marchands étaient représentées, chacune ayant ses propres codes et armoiries. Le bleu vif des guérisseur, le rouge et jaune des armuriers, le vert émeraude des commerçants… Ajoutez à cela que chaque marchand ou membre de guilde avait le droit d’ajouter ses propres couleurs et décorations à ses chariots et vous obteniez une gigantesque caravane incroyablement bigarrée. Flottant au vent particulièrement fort de cette région du monde depuis l’Armageddon, des milliers de drapeaux montés en haut de longues piques fixées aux chariots avaient donné son nom à la caravane. Herkos distinguait également des dizaines de cerfs-volants de couleur, virevoltant au-dessus des chariots. Certains avaient pour but de porter chance, d’autres à communiquer d’un bout de la caravane à l’autre.
La poussière que dégageait le convoi était impressionnante et s’engouffrait dans la vallée, portée par un vent puissant. Herkos distinguait les escouades de protection de la caravane, des mercenaires de la guilde des protecteurs que s’offraient les marchands durant leur longs allers-retour entre Khitaï et Pahriss, la grande Cité Franche de Francia (4), leur destination. Cette région de l’extrême occident ne s’était jamais vraiment remise de l’Armageddon. Sur ces terres désolées, presque plus rien ne pouvait pousser ni être cultivé. Les habitants de ces régions hostiles avaient péniblement réussi à reconstruire leurs villes principales, mais luttaient encore pour se nourrir et n’avaient toujours pas accès à de nombreuses ressources, les terres de Francia ayant été pour la plupart empoisonnées suite à l’Armageddon. C’est en effet Francia qui avait souffert le plus durant la chute des chariots célestes, ces derniers s’étant écrasés en masse dans la région. Mais cela signifiait également que Pahriss était en possession de fer céleste en très grandes quantités. Ainsi, si les habitants de ces régions avaient vu leurs terres anéanties par la chute de ces gigantesques chariots venus du ciel, ils avaient également prospéré en les pillant durant des générations. Mais le métal ne se mange pas, et la venue de la caravane marchande était chaque année un événement majeur pour les habitants de ces contrées inhospitalières. Les marchands faisaient ainsi un chiffre d'affaires colossal durant leurs haltes dans les grandes Cités-Franches de Francia reconstruites après l‘Armageddon, particulièrement à Pahriss.
Bien entendu, autant de richesses attiraient les voleurs, les pillards et les opportunistes. Durant les trajets reliant l’Est à l’Ouest, puis l’Ouest à l’Est (un aller-retour pouvant prendre facilement une année), les attaques étaient assez fréquentes, notamment dans les steppes d’Estia. La région était en effet truffée de Khans, des bandes de pillards nomades disparates menées par leurs seigneurs de guerre, qui attaquaient régulièrement les caravanes durant leur trajet. La Caravane du Vent était une cible particulièrement attrayante, mais rares étaient les fous qui osaient s’attaquer à elle, tant elle était puissamment protégée. La caravane avait en effet passé un pacte, bien des années auparavant, avec une guilde de mercenaires vouée à la protection des biens et des personnes : la Guilde des Tutélaires (5). Les soldats de cette guilde étaient des guerriers aguerris, qui bénéficiaient du meilleur matériel imaginable. Ils connaissaient l’art de la guerre, et Herkos devait avouer que, les ayant déjà vu à l’oeuvre par le passé, ils n’usurpaient pas leur réputation.
Autour de la caravane, Herkos pouvait admirer le dispositif de protection des Tutélaires. Certains d’entre eux évoluaient à cheval, d’autres sur des appareils étranges, qu'il avait toujours trouvé fascinant. La guilde des Tutélaires était immensément riche, et avait en effet réussi à mettre la main sur de nombreux artefact célestes qu’elle avait appris à maîtriser. Si ces artefacts restaient particulièrement rares, ils étaient également très puissants. Ainsi allait le monde : ceux qui possédaient les artefacts célestes gagnaient les guerres. Et la Guilde des Tutélaires possédait beaucoup d'artefacts célestes. C’était aussi pour cela que ses services étaient aussi chers, et qu’elle ne peinait jamais à recruter des jeunes gens en quête de gloire. La règle des Tutélaires était simple : les plus expérimentés et les meilleurs des miliciens finissaient par avoir accès aux objets célestes et à leurs capacités destructrices. Le souci ? Ceux qui finissaient par y avoir accès faisaient rarement de vieux os tant ces armes et ces machines s’avéraient souvent aussi destructrices pour les adversaires que pour ceux qui les utilisaient.
Malgré toutes ses réticences au sujet de la Guilde des Tutélaires et des armes célestes (la violence des mercenaires était bien connue), Herkos devait avouer que les gardes du corps l’avaient toujours impressionné. Les Tutélaires se déplaçaient principalement en chariot ferré, tractés par des chevaux caparaçonnés, sur lesquels étaient postés des archers et des arbalétriers. Certains chariots, les plus gros et les plus rapides, se déplaçaient sans chevaux, mus par la force de l’énergie céleste. Ces véhicules bénéficiaient de la puissance des énergies venues du ciel, domptées après des années d’expérimentations par les ingénieurs de la Guilde des Créateurs. Certains Tutélaires se déplaçaient également dans les airs, attachés à des espèces de cerf-volants géants, amarrés aux plus gros chariots. Ces tutélaires volants étaient les yeux de la Guilde : leur position leur permettait de voir arriver le danger à des kilomètres en bénéficiant des vents puissants de cette région. Ils pouvaient également mener des opérations de harcèlement en piquant sur leurs ennemis, armés de lances et de crochets explosifs qu’ils fixaient sur leurs cibles avant de repartir aussitôt dans les airs.
Le ciel était chargé de cerfs-volants Tutélaires donc, mais à travers cette marée de couleur, deux objets volaient plus rapidement que les autres, tels des mouches, au dessus du convoi. Il s’agissait de deux appareils de vol célestes, des disques sur lesquels un homme ou une femme pouvait se tenir debout, et qui leur permettaient de glisser dans les airs avec la vitesse et la précision d’un rapace. Les tutélaires juchés sur ces engins étaient armés de lames longues et effilées, ainsi que d’armes célestes à haute vélocité : des balistes, des tubes lanceurs de projectiles explosifs très puissants.
Herkos en avait vu, des choses, durant toutes ses années de cuisinier itinérant, mais jamais il n’avait pu se lasser du vols de ces planeurs célestes foudroyants et mortels, ou de la vitesse de pointe à laquelle pouvaient rouler certains chariots de guerre des Tutélaires.
“On en est où, Herk’ ? “ lui hurla Rhina, le tirant de sa rêverie. Il détestait quand elle l’appelait comme ça. Il se hissa alors sur le toit et s'accrocha à un système de cordes et de croches en bois qui lui permettait de rester debout de manière relativement stable. Il décrocha de sa ceinture la longue vue qui ne le quittait jamais, et inspecta les contours de la caravane.
“Je vois rien” cria-t-il en direction de Rhina et en essayant de couvrir le bruit caracolant des chevaux. D’autres chariots de l’avant-garde roulaient à vive allure devant eux et derrière eux. “ Tu es sûre que c’est le signal de fuite que tu as entendu ? Je vois aucun danger derrière nous !”
“Et pourquoi tu penses que les autres chariots d’avant-garde se carapatent comme nous ? Tes ronflements t’ont empêché d’entendre le signal, mais on l’a bien entendu, nous !” Effectivement, autour d’eux, des dizaines de chariots roulaient à vive allure droit devant eux, comme le signal l‘exigeait.
Herkos ne répondit pas et continua à scruter leurs arrières à l’aide de sa longue-vue, cherchant une explication à ce qui ne devait sans doute être qu’une erreur. “Il n’y a vraiment rien qui…” Une violente explosion, au loin, lui coupa la parole. Il s’accrocha aux cordes afin de rester debout tout en laissant échapper sa longue-vue, maintenue à sa ceinture par une cordelette de cuir. A l’extrémité arrière du convoi, de nombreux chariots avaient explosé, et une immense colonne de flamme s’éleva dans le ciel bleu de la prairie. “Par les Célestes, Herkos, il se passe quoi ?” hurla Rhina qui tentait tant bien que mal de garder une trajectoire fixe et d’empêcher les chevaux de paniquer.
Le cuisinier avait du mal à comprendre ce qui se déroulait sous ses yeux. Il avait déjà eu affaire à des pillards Khans par le passé, mais un tel déchainement de puissance était encore inédit. “Ça sent mauvais Rhina”, cria-t-il, “Arrête pas de rouler et garde les yeux ouverts, c’est du sérieux cette fois”.
Oui, c’était du sérieux. Plusieurs chariots tutélaires avaient disparu dans les flammes, et certains chariots marchands aux alentours avaient commencé à prendre feu. Là bas, à l’arrière du convoi, la panique était totale. Les chariots s’éparpillaient en tous sens, les cordes retenant les cerfs-volants et les bannières colorées des guildes s’emmêlant et se cassant. Les drapeaux multicolores tombaient lentement au sol comme des feuilles mortes, certains en flammes. Les Tutélaires tentaient d’éviter la panique et se regroupaient vers l’arrière-garde du convoi. Les planeurs célestes se dirigeaient vers la source des explosions. Herkos n’arrivait toujours pas à comprendre : quel fou aurait pris pour cible la caravane la plus grande et la mieux défendue de tous les Nouveaux Royaumes ?
Sa question ne tarda pas à trouver une réponse. Plusieurs traits de lumière d’un rose vif jaillirent de derrière une crête rocheuse à l’avant de la caravane, à quelques centaines de mètres à peine du chariot d’Herkos et de Rhina, profitant du fait que les Tutélaires s’étaient regroupés vers l’arrière-garde. Les traits de lumière frappèrent de plein fouet les cerfs-volants tutélaires restés sur place. Herkos vit leurs pilotes disparaître dans de violentes explosions, ou chuter comme des pantins vers le sol. Puis, une troupe immense de chevaux et de chariots de guerre descendit de la crête qui leur faisait face, un peu plus haut dans la vallée, soulevant une véritable tempête de poussière. Herkos se saisit de sa longue-vue. Terrifié, il reconnut immédiatement les tâches de couleurs rouges et or sur les pennons des chevaux et les voiles des chariots qui se précipitaient vers eux dans un grondement apocalyptique et des cris de guerre proférés dans une langue gutturale.
“LA GRANDE HORDE KHAN ! LA GRANDE HORDE S’EST REFORMÉE !”
Il n’avait plus les mots. Il imaginait que Rhina était terrifiée elle aussi. Les Khans étaient une tribu de l’extrémité orientale de l’Estia. Des guerriers à cheval sanguinaires et sans pitié, des pillards pour qui les attaques de convoi étaient autant une nécessité qu’un plaisir partagé par tous les membres de la tribu, femmes, hommes et enfants. Ils ne craignaient rien. Ne connaissaient pas la pitié. Et agissaient autant par besoin que par tradition. Leur réputation était celle de guerriers rapides, adeptes des attaques éclairs par des bandes d’une vingtaine de guerriers au maximum. Jamais plus. C’est pourquoi ils s’attaquaient le plus souvent à de petits convois. Mais là… C’était différent. La Grande Horde Khan était une légende. Celle d’une armée innombrable de guerriers des steppes unifiés sous la coupe d’un grand seigneur de guerre, qui avait conquis le monde des siècles auparavant, bien avant l’Armageddon. Leur culture étant celle du bouche à oreille, ces histoires étaient restées, au contraire de celles des peuples dits plus “civilisés”, qui s’étaient perdues en même temps que les livres des érudits avaient brûlés. Ce qu’Herkos avait sous les yeux, clairement, c’était la Grande Horde, à nouveau formée. Mais ce qui l’effrayait le plus, c’est que ces khans avaient eu accès à beaucoup de chariots de guerre et à d’armes célestes. De mémoire d’Estien, il n’avait jamais entendu parler de khan possédant autant d’artefacts célestes. Peu de tribus, à part les plus puissantes, en utilisaient au combat. Et encore, en très petites quantités. Les artefacts célestes, malgré leur puissance, étaient en effet pour certaines tribus un blasphème à la face de la nature, des objets portant le mauvais oeil. Et pour être franc, Herkos n’était pas loin de penser la même chose. Mais si les khans utilisaient désormais ces armes et ces véhicules en masse, et s’ils étaient unifiés comme jadis… La pensée le fit frémir. Il se détacha et se dirigea prudemment vers l’avant du chariot, afin de venir s’assoir aux côtés de Rhina. “Ne t’arrête pas” lui hurla-t-il par dessus le vacarme.
“Si tu t’arrêtes, si l’avant-garde s’arrête, nous sommes tous morts”.
ANNEXE
(1) Célestes : depuis l'Armageddon, toute la culture et les croyances de l'ancienne Europe ont quasiment disparues. Le peu d'écrits existants ont été balayés par le feu et les flammes, et les centres religieux ayant été quasiment tous détruits, les traditions religieuses se sont évanouies avec le temps pour devenir des légendes, de vagues souvenirs ou des expressions dont plus personne ne connait la signification. Des ersatz de religions païennes ont fleuri ici ou là de manière locale, notamment dans des endroits où des vestiges d'églises sont restés plus ou moins intacts, mais la religion au sens propre n'existe plus. L'animisme a cependant refait son apparition, la nature ayant repris ses droits, et on peut noter, notamment dans les régions de l'Ouest de l'Europe et l'Ancien Royaume Franc, une espèce de religion liée aux objets célestes et à l'Armageddon, qui semble monter en puissance de manière locale notamment à Pahriss.
(2) Danseurs du ventre byzantii : ethnie descendant de l'ancien empire byzantin, les byzantii vivent principalement sur les terres des anciennes Grèce et Turquie. Leurs danseurs du ventre, hommes et femmes, sont connus pour leurs danses fantasques et leurs habitudes libertines, tout comme leur habileté au combat rapproché et leur maniement parfait du poignard à lame courbe.
(3) Estia : nom donné par les habitants des Nouveaux Royaumes à l’équivalent de la région sino-russe actuelle.
(4) Francia : nom donné à l'ancien royaume Franc, annihilé durant l'Armageddon.
(5) Fer céleste : depuis une centaine d’années, les hommes ont appris à dompter les matériaux tombés du ciel lors de l'Armageddon. Si personne n'a jamais réussi à reproduire un objet céleste (ce qui fait de chacun d'entre eux un bien extrêmement précieux), le fer céleste qui les compose et dont sont composés les chariot célestes a réussi à être travaillé peu à peu par les forgerons (au prix d'efforts surhumains durant des mois), qui arrivent désormais, à partir de cet étrange alliage, à créer pièces d'armure, armes de corps à corps ou protection pour les chevaux et les véhicules.
(6) Guilde des Tutélaires : la civilisation humaine post-Armageddon a dû se battre pour se refaire une place dans une nature dangereuse, peuplée de monstres et de bandes d'humains redevenus sauvages. Beaucoup de guildes ont été crées, dans une volonté de regrouper les talents et les intérêts pour le bien de la communauté. La Guilde des Caravaniers est bien entendu l'une des plus puissantes, mais la Guilde des Tutélaires l'est presque tout autant : ces mercenaires sont sans doute les guerriers les mieux équipés et les plus craints des Nouveaux Royaumes. Bénéficiant des dernières découvertes technologiques de la Guilde des Créateurs et d'une quantité énorme d'objets et d'armes célestes, leur réputation de gardes du corps incorruptible et ultra-entrainés les précède largement.
(7) Guilde des Créateurs : guilde d'ingénieurs et de techniciens ayant plongé corps et âme dans la recherche et l'expérimentation autour des objets célestes. Des centaines d'années après l'Armageddon, un semblant de science refit surface une fois que la civilisation humaine se releva péniblement de ses cendres. Rapidement, les hommes comprirent que de la maîtrise et la compréhension de ces objets dépendait la survie de la race humaine. Les ingénieurs ont travaillé durant des décennies sur ces objets étranges, et si jusqu'ici nul n'a réussi à recréer les capacités d'une arme ou d'un objet céleste, certains ingénieurs de renom ont obtenu des résultats révolutionnaires, notamment en apprenant à utiliser l'énergie céleste pour faire déplacer des véhicules avec une puissance et une vitesse sans commune mesure. Si les premiers essais furent souvent catastrophiques, des véhicules plus ou moins fiables peuvent désormais être créés, les recherches avançant de plus en plus vite. Parmi les membres de la Guildes, certains pensent que l’énergie des objets célestes est infinie. D’autres estiment qu’elle finira par se tarir, et que si personne ne trouve comment reproduire cette énergie, un nouvel âge de ténèbres s’abattra sur l’humanité.
Merci d’avoir lu cet épisode de No Man’s Kingdom ! S’il vous a plus, n’hésitez pas à laisser des commentaires ici ou sur les réseaux sociaux, et surtout à partager autour de vous. Rendez-vous vendredi prochain pour une nouvelle plongée dans le No Man’s Kingdom ! TO